La compagnie Air Sénégal a pris le pli de louer des avions d’un autre âge et dont les conditions de contrôle et d’entretien techniques peuvent laisser à désirer ou lui ont échappé.
Le grave accident survenu à l’aéroport Blaise Diagne de Diass, dans la nuit du 8 au 9 mai 2024, a fait de nombreux blessés et des dégâts matériels importants. Le bilan est lourd mais il s’avère quelque peu anodin, vu l’ampleur de la catastrophe qu’aurait pu provoquer un tel crash dans des circonstances d’un vol en haute altitude. Il y a lieu cependant de relever que cet incident, qualifié de minicrash dans le jargon des professionnels des transports aériens, n’en est pas moins un cas sérieux ; d’autant qu’il ne constitue guère une surprise pour les techniciens et de nombreux passagers.
On n’a jamais appris du naufrage du bateau «Le Joola»
Sur la plateforme de l’aéroport Blaise Diagne, tout le monde savait que le laxisme, qui est la règle dans toutes les opérations, ne pouvait pas manquer de provoquer un drame. Plus d’une fois, nous nous sommes fait l’écho de cette situation à travers ces colonnes et malheureusement, les responsables ne voulaient pas voir la réalité des choses et prenaient toute alerte comme un procès d’intention contre Monsieur X ou Madame Y. On a toujours récolté une bordée d’insultes. Le 20 novembre 2023, j’indiquais notamment : «Je m’étais résigné à cesser d’évoquer les misères et tribulations des passagers au niveau de l’Aéroport international Blaise Diagne de Diass (Aibd). J’ai baissé les bras, comprenant en fin de compte qu’il ne servait à rien de tirer la sonnette d’alarme, d’attirer l’attention, notamment celle des hautes autorités de l’Etat, sur les méfaits d’une exploitation laxiste à bien des égards et qui finira fatalement par dégrader la qualité de ce bijou qui a occasionné de très gros investissements au Sénégal. Les alertes ont toujours été prises avec une certaine désinvolture et les autorités et autres pontes ne semblent rien faire pour améliorer la situation ; encore que les responsables de l’aéroport prennent l’habitude, depuis toujours, de botter en touche, trouvant, derrière chaque dénonciation, on ne sait quel complot, cabale ou lugubre agenda. Seulement, le fait de fustiger les mauvaises pratiques qui ont libre cours, a fini par rendre difficiles quelques-uns de mes passages dans cet aéroport.»
Franchement, pour une fois, que personne ne verse dans le fatalisme ! C’est triste mais ce crash est la rançon du laxisme. Des esprits malins vont une fois de plus essayer de relier ce crash à l’incendie de l’usine de Patisen ou à un autre incident du genre pour invoquer des mains immanentes ou on ne sait quels mauvais esprits !
La compagnie Air Sénégal a pris le pli de louer des avions d’un autre âge et dont les conditions de contrôle et d’entretien techniques peuvent laisser à désirer ou lui ont échappé. On ne le dira jamais assez, la compagnie nationale devait être plus regardante sur l’état des appareils transportant des passagers et ainsi, n’aurait-elle jamais dû recourir à cet aéronef de Transair. Nul n’a non plus tenu compte de l’expérience ou de la qualité de l’équipage ou du passif de l’avion ou même du passif de Transair. On a encore en souvenir l’incident, le 17 décembre 2019, d’un avion de Transair dont un moteur avait pris feu au départ de Ziguinchor. L’incident a été minimisé. Transair laissait le soin à son chef d’escale à Ziguinchor de dire aux médias, ces quelques mots qui témoignent d’une désinvolture sidérante : «C’est juste que le pilote a mal démarré le moteur. Mais, dès qu’il s’en est aperçu, il a immédiatement coupé le moteur. Par mesure de prudence, les passagers ont été débarqués. Nous avons procédé à un contrôle. Mais vu que l’appareil a été mal démarré, il y a eu un problème au moteur. Ce n’est qu’un petit incident. Finalement, nous avons préféré faire venir des mécaniciens. Aussi, un autre appareil a été affrété pour acheminer les passagers vers Dakar.» On n’a pas connaissance de conclusions d’une enquête sérieuse sur cet incident et la compagnie a continué à faire voler le même avion.
L’accident d’avion de cette semaine est le fait d’un appareil de l’âge de ses pilotes, acquis auprès de la compagnie nationale roumaine Tarom, pour une bouchée de pain, d’autant qu’il ne pouvait plus voler dans le ciel européen pour cause de non-satisfaction aux normes sécuritaires. Son état était déplorable. Encore une fois, nous recyclons tous les rebuts d’Europe, avec des «venant de France» ou des «France au revoir» tels réfrigérateurs, véhicules, machines de toutes sortes et d’objets ou de vieux matériels hors service et comble, jusqu’aux avions, sans aucun égard pour la vie des passagers. L’hécatombe sur nos routes du fait de bus et autres véhicules dont la circulation est refusée en Europe, est déjà fort éloquente. N’a-t-on pas vu le véhicule du Président Macky Sall prendre feu en juillet 2019, à Nguéniène, au moment des obsèques du regretté Ousmane Tanor Dieng ? La rumeur avait voulu que la voiture avait été achetée en seconde main, mais on saura qu’elle avait été acquise neuve, même si elle avait fait l’objet d’une transformation par un opérateur belge. Le diagnostic et le rapport d’audit avaient révélé qu’une des plaques de la carrosserie a été surchauffée et avait entraîné un courtcircuit. La présidence de la République a été finalement remboursée après une longue procédure de 15 mois. Mais d’aucuns voulaient croire à des coups de «sorciers» ou autres pangols !
En effet, chaque gouvernement promettait dans ses professions de foi «plus jamais ça», après les innombrables drames de la route, et aucune leçon de sagesse n’a été tirée du naufrage du bateau «Le Joola» en septembre 2002, qui a été l’une des plus douloureuses catastrophes des transports maritimes de l’Histoire. L’Etat du Sénégal se permet d’acheter des hélicoptères d’occase qui tombaient comme des pierres, faisant de nombreux morts à Missirah (voir notre chronique du 8 octobre 2019) ou la société de transports publics, Dakar Dem Dikk, qui met des bus recyclés en circulation. Rien d’étonnant car le Président Abdoulaye Wade avait acheté un avion de commandement, un avion Airbus abandonné par son homologue français Nicolas Sarkozy. C’est donc le cas de ce Boeing de Transair, affrété par Air Sénégal pour un vol en direction de Bamako. On se rappelle la série de pannes ayant cloué des avions loués dans de nombreux aéroports africains. Le cas le plus burlesque est celui d’une panne survenue à Douala, en janvier 2024, où les passagers étaient laissés en rade pendant plus de deux jours. L’avion manquait d’une pièce et un autre avion a été affrété pour aller récupérer les passagers et l’équipage. Mais ce deuxième avion tombera en panne et restera lui aussi cloué à Douala. Il avait alors fallu prélever une pièce de l’un des avions pour pouvoir faire décoller l’autre.
Les dégâts occasionnés par le crash du vol HC 301 (nom du code du vol DakarBamako) sont incommensurables. Un tel incident vous ruine ou abime une image d’une compagnie aérienne. Le crash fait de gros dégâts. Des sociétés européennes ont commencé à blacklister Air Sénégal et des passagers, plus d’une centaine de voyageurs prévus sur le vol Dakar-Paris dans la nuit du 9 au 10 mai 2024, s’étaient déportés sur le vol concurrent d’Air France. La saignée risque de se poursuivre, le temps que des conclusions d’une enquête permettent de rassurer la clientèle. Les polices d’assurances idoines auraient été souscrites et Air Sénégal ne devrait pas avoir de crainte de ce point de vue pour couvrir les sinistres.
4 milliards de pertes par mois ! Est-ce perdu pour tout le monde ?
Il s’y ajoute une certaine frénésie observée pour la location des appareils appartenant particulièrement à Transair. On notera qu’il est courant que la compagnie nationale loue pour plusieurs rotations en une journée, des avions de cette compagnie privée. Mieux, tous les vols intérieurs en direction de Saint-Louis sont effectués systématiquement avec ses aéronefs. Mais à chaque fois, de nombreux passagers ont eu à déplorer des situations de frayeur en vol. Les procédures d’affrétement ne sont pas toujours respectées. Des affrétements sont faits sur un simple coup de fil téléphonique, sans les contrôles techniques et de maintenance nécessaires. On invoque à chaque fois des urgences et cela a fini par devenir la règle. Trois avions d’Air Sénégal sont au sol dont un avion ATR cloué à Nouakchott, un avion cloué à Diass et un autre A330 qui effectuait le vol sur New York. Tous ces avions ont des problèmes de moteurs et attendent d’en trouver de nouveaux.
Des avions sont affrétés pour des destinations internationales, structurellement déficitaires. Pourquoi s’obstiner à poursuivre à perdre de l’argent de la sorte ? Sans doute que ce n’est pas perdu pour tout le monde. Air Sénégal se fait renflouer tous les mois à hauteur de 4 milliards sur le budget de l’Etat du Sénégal. Tel est le montant prévu dans la Loi de finances 2024, mais des sources proches du ministère des Finances indiquent que les perfusions dépassent largement ce seuil budgétaire. C’est comme un défi de garder la compagnie en vol. Soit ! Seulement qu’est-ce qui interdirait alors un audit des coûts et des opérations ?
Un projet de fusion Air Sénégal-Transair en péril
La situation de concurrence entre Air Sénégal et Transair semblait montrer à quel point il fallait harmoniser les interventions. Les deux compagnies desservent Ziguinchor quotidiennement et sont également en concurrence sur les lignes vers Praia, Conakry et autres. Le Directeur général d’Air Sénégal, Alioune Badara Fall, du temps où il officiait comme Conseiller technique au ministère des Transports aériens, préconisait l’idée de la création d’une filiale d’Air Sénégal appelée Air Sénégal Express. La gestion serait confiée aux dirigeants de Transair. Le modèle voudrait par exemple que la flotte de Transair soit acquise et repeinte aux couleurs de la filiale et s’occuperait de la desserte intérieure et des vols de proximité. Air Sénégal se déploierait sur les autres destinations et travaillerait à rationaliser ses coûts d’exploitation. En effet, précise un expert, «certaines lignes peuvent être très rentables comme le Dakar-Abidjan, alors que les lignes déficitaires provoquent un gap énorme dans l’exploitation, d’où toutes les difficultés de la compagnie nationale». Le schéma, porté jusqu’ici par le Directeur général d’Air Sénégal, aurait séduit le patron de Transair, Alioune Fall (curieuse homonymie me dirait-on). Il reste à savoir si ce crash et l’état de cette flotte ne vont pas le compromettre définitivement. Certaines sources affirment que les nouvelles autorités sénégalaises auraient adoubé le projet calqué sur le modèle de la Royal Air Maroc avec sa filiale Royal Air Maroc Express ou d’Air France avec sa filiale Hop. Au demeurant, les relations de proximité entre le Premier ministre et la compagnie privée auraient pu aider à matérialiser cette idée. En effet, Ousmane Sonko avait choisi de ne prendre que des vols de Transair sur l’axe DakarZiguinchor du temps où il était dans l’opposition. Cette préférence a pu laisser nourrir la rumeur d’une proximité des dirigeants de Transair avec les dirigeants de Pastef. Est-ce cela qui expliquait le fait que le régime de Macky Sall n’encourageait pas trop les activités de Transair ? Il reste qu’il appartiendra au gouvernement de se montrer intransigeant pour situer les responsabilités dans cet accident et engager toutes mesures qui permettront d’éviter qu’Air Sénégal ne continue d’être un gouffre à milliards.
Post scriptum : Bravo à Diomaye et Sonko de ne pas persister dans l’erreur
Les autorités gouvernementales ont très vite pris la mesure des dégâts que pouvait provoquer la mesure annoncée le 28 avril 2024 par l’architecte Pierre Goudiaby Atepa, de suspension unilatérale des chantiers de construction sur la Corniche de Dakar. C’est ainsi que le tandem Diomaye-Sonko a fini par autoriser les promoteurs et autres propriétaires à poursuivre leurs travaux. On doit les féliciter pour cette humilité et les encourager à plus de vigilance quant à des conseils a priori désintéressés, mais qui pourraient avoir des relents de conflits d’intérêts ou de petits règlements de comptes. En effet, un des plus grands promoteurs immobiliers frappés par la mesure de suspension des chantiers nous a confié son étonnement devant cette mesure brutale, après qu’un proche du nouveau régime n’a pas pu lui imposer de lui confier un marché de suivi de ses chantiers