Par Mamoudou Ba – République des Valeurs
Une République à la croisée des chemins
À peine quinze mois mois après l’alternance du 24 mars, le vent de l’espoir qui a soufflé sur le Sénégal semble déjà se heurter aux murs rigides de la réalité. Porté par une vague populaire historique, le régime de PASTEF est arrivé au pouvoir avec une promesse claire : rompre avec l’ancien système, moraliser la vie publique et replacer l’intérêt général au-dessus des intérêts particuliers.
Mais dans un pays décrit par les nouvelles autorités elles-mêmes comme étant au « quatrième sous-sol », où les finances publiques sont exsangues et l’économie en réanimation, les premières dissonances entre les engagements de rupture et certaines pratiques installent le doute, notamment sur la question sensible des salaires de la haute administration.
Quand le patriotisme devient concret : le précédent Thierno Alassane Sall
En 2013, alors qu’il dirigeait l’ARTP, Thierno Alassane Sall avait volontairement décidé de faire passer son salaire de 20 millions à 5 millions FCFA. Ce geste, d’une rare sobriété dans un État souvent miné par l’avidité bureaucratique, a marqué les esprits comme un acte de patriotisme sincère. Il ne s’agissait ni d’une injonction de la tutelle, ni d’une mesure budgétaire imposée. C’était un acte de foi en la République.
Aujourd’hui, la question est simple : où sont passés ces modèles de vertu publique ? Pourquoi les nouveaux dirigeants, qui se réclament d’un patriotisme supérieur, ne suivent-ils pas ce chemin exemplaire ?
Des salaires indécents dans un pays pauvre
Le lanceur d’alerte Mollah Morgun, dans un direct devenu viral, a jeté un pavé dans la mare en évoquant les salaires astronomiques de plusieurs Directeurs Généraux (DG) et Présidents de Conseil d’Administration (PCA) dans des structures publiques comme l’ARTP, la CDC, le Port Autonome de Dakar, ou encore certaines agences.
Comparaison parlante :
Emmanuel Macron, président de la République française : environ 10 millions FCFA/mois.
DG de l’ARTP sous TAS : 5 millions FCFA.
Dans un pays classé parmi les PPTE (Pays Pauvres Très Endettés), où 40 % de la population vit sous le seuil de pauvreté, ces rémunérations choquent. Si ces chiffres sont inexacts, qu’attendent les responsables concernés pour publier leurs bulletins de salaire ? La transparence ne devrait pas être à géométrie variable.
Quand les discours patriotiques se heurtent à la pratique du pouvoir
Le slogan « Don de soi pour la patrie », scandé durant toute la campagne électorale, semble aujourd’hui s’évaporer dans les salons climatisés du pouvoir.
Les déplacements du Premier ministre en jet privé, jugés inopportuns dans le contexte actuel, suscitent des interrogations.
Les caisses noires de la Présidence, de la Primature et de l’Assemblée nationale, que le régime avait promis de supprimer, restent intouchées.
Les voitures neuves destinées au DG, PCA, Députés
Le député Guy Marius Sagna, proche du pouvoir, n’hésite pas à dénoncer publiquement la gestion opaque de l’Assemblée nationale.
Pendant ce temps, aucune réforme structurelle des salaires ou harmonisation n’a encore vu le jour.
Cette posture ambivalente pose une question fondamentale : la rupture est-elle toujours à l’ordre du jour, ou a-t-elle été rangée dans les tiroirs de l’oubli républicain ?
Une situation socio-économique explosive
Le pays est à bout de souffle.
Dette publique supérieure à 75 % du PIB.
Taux de chômage des jeunes parmi les plus élevés de la sous-région.
Crises multiformes : dans la santé, l’éducation, l’agriculture, la justice.
Presse asphyxiée, entre faillites, restrictions et absence de subventions.
Hivernage , Campagne Agricole , Ouverture des classes au menu
Scandales de gestion à l’ASER et à l’ONAS, révélant les limites du nouveau management.
Contexte mondial instable : post-COVID, guerre en Ukraine, tensions géopolitiques, inflation galopante.
À ce moment de l’histoire nationale, chaque franc public compte. Il est donc inacceptable que les élites continuent de bénéficier de salaires et de privilèges hors normes sans justification.
Des solutions existent : volonté politique requise
- Décret présidentiel d’harmonisation salariale
Fixer un plafond salarial indexé sur le SMIC ou le salaire moyen national, pour les DG, PCA et hauts cadres publics.
- Loi sur la transparence des rémunérations
Obliger toutes les entités publiques à publier annuellement les salaires, primes et avantages des dirigeants.
- Audit et contrôle des caisses noires
Instaurer un contrôle parlementaire rigoureux des fonds spéciaux et des lignes budgétaires opaques.
Gouverner avec responsabilité ou trahir la jeunesse
Le peuple sénégalais, et surtout sa jeunesse, n’a pas porté au pouvoir un régime pour en faire un club fermé d’élus jouissant de privilèges intouchables. Il a fait le pari du changement, du courage, de la vérité et de la justice.
Les dirigeants actuels doivent se hisser au niveau des sacrifices consentis par les citoyens. Ils doivent incarner une nouvelle éthique du pouvoir, à défaut de quoi, la désillusion sera encore plus profonde que sous les régimes précédents.
Message aux jeunes : soyez lucides et vigilants
L’engagement ne s’arrête pas le jour du vote. Il continue par la vigilance citoyenne, la critique constructive, et l’exigence constante. Ce pays vous appartient, et ceux qui le dirigent aujourd’hui vous doivent des comptes. Ne laissez jamais les slogans prendre le pas sur les actes.