Le Sénégal est prisonnier d’un cercle vicieux : la corruption d’hier et l’incompétence d’aujourd’hui. Le régime de Macky Sall a représenté la prédation et l’opacité, siphonnant les ressources publiques et nourrissant un État prédateur. Le régime de Diomaye et Diomaye-Sonko, lui, incarne la manipulation et l’amateurisme, qui ont détruit la crédibilité du pays. Résultat : une même impasse, deux visages différents mais également destructeurs.
On nous répète qu’il y aurait eu une “dette cachée” héritée de l’ancien régime. Mais la Cour des comptes n’a jamais utilisé ce terme. Le rapport Mazars, financé par l’argent public, reste quant à lui dissimulé. Ce sont les actuels dirigeants qui, dans leurs communications politiques, ont inventé cette formule pour noircir le régime précédent et galvaniser leur base. Pour lui donner une apparence de vérité, ils ont compté dans la dette centrale des engagements extra-budgétaires, qui sont des pratiques connues de gestion budgétaire et non des fraudes. Mais par ignorance ou par manipulation, ils en ont fait un scandale imaginaire.
Le FMI n’a donc pas validé leur terme. Il a simplement dit : « Vous accusez, prouvez-le. En attendant, nous suspendons. » Ce n’est pas Washington qui a piégé Dakar. Ce sont nos propres dirigeants qui se sont piégés eux-mêmes, et qui ont piégé le pays.
Mais le problème n’est même pas le FMI. Ses financements sont insignifiants par rapport aux besoins réels de notre économie. Beaucoup de pays vivent sans programme du FMI et continuent de se développer. Le vrai problème, c’est la crédibilité. Et cette crédibilité, le Sénégal l’a perdue.
Cette perte n’est pas un accident. Elle est le produit d’une haine politicienne. Le régime a sacrifié l’atout le plus précieux du pays, sa crédibilité, pour attaquer un adversaire et entretenir un slogan. Voilà l’incompétence forme la plus grave : détruire la confiance d’un pays pour une bataille partisane. Et c’est l’un des plus grands scandales de notre histoire récente.
Et la facture est lourde. L’État se tourne vers le marché régional. Mais ces emprunts se paient à des taux plus élevés. Chaque point de taux en plus, ce sont des milliards gaspillés en intérêts. Ces milliards ne financent pas les écoles, ni les hôpitaux, ni les routes. En saturant le marché, l’État aspire aussi les liquidités des banques et empêche les entreprises privées d’accéder au crédit. Les banques choisissent de financer l’État plutôt que l’économie productive. Les entreprises étouffent, l’investissement se fige, l’emploi recule. Voilà la spirale de l’incompétence.
Car il faut le dire sans détour : le Sénégal est prisonnier de deux maux. Hier, la corruption systémique du régime de Macky Sall a siphonné les ressources publiques. Aujourd’hui, l’incompétence du régime Diomaye-Sonko détruit la confiance. Les deux sont également destructeurs : l’un vole l’argent, l’autre brise la crédibilité. Et ensemble, ils condamnent la nation à l’appauvrissement.
Mais l’incompétence ne se limite pas aux finances publiques. Elle est visible partout. Dans la reddition des comptes d’abord : les Sénégalais attendaient une justice forte, des procès, des condamnations. Qu’ont-ils eu ? Des discours, des commissions, des promesses. Prés de deux ans après, aucun grand scandale n’a été jugé, aucune réforme structurelle n’a été appliquée. Elle est visible aussi dans les politiques économiques et sociales. Les plans annoncés, présentés comme des stratégies de relance, sont restés au stade des slogans. Aucun calendrier précis, aucune mesure concrète, aucun résultat probant. Partout, le constat est le même : des cérémonies, des annonces, des effets d’annonce… mais aucune efficacité réelle. L’incompétence est devenue la marque de fabrique de ce régime.
Mais le plus grave est ailleurs. Car en plus de l’incompétence et de la manipulation, s’ajoute un risque grandissant de non-transparence. Les rapports d’exécution budgétaire ont perdu en clarté. Les fonds politiques restent sans aucune visibilité. Les rapports de l’Inspection générale des finances sur la gestion actuelle ne sont pas publiés. La Cour des comptes, elle aussi, n’a rien produit sur l’exercice en cours. Tout se passe comme si, derrière les slogans de transparence, on installait une nouvelle opacité. Et le danger est immense : un régime incompétent et manipulateur, qui en plus échappe au contrôle, prépare les mêmes dérives que celles qu’il avait dénoncées hier.
Beaucoup de Sénégalais se sont laissés bercer par les promesses, en croyant que les annonces étaient déjà des réalisations. Mais moi, dès le premier jour, j’ai dit avec fermeté qu’il fallait mettre la pression immédiate sur ce régime : pas d’état de grâce, pas de délai, mais des réformes concrètes dès l’arrivée au pouvoir. On m’a répondu qu’ils “venaient d’arriver”, qu’il fallait leur laisser du temps. Mais le temps a confirmé mon avertissement.
C’est pour cela que je le répète sans détour : ce mandat est déjà perdu.
Voilà pourquoi la souveraineté est une nécessité vitale. Pas un slogan, pas une posture, pas un luxe : une condition de survie nationale. Mais la souveraineté n’est pas une formule creuse, elle est une discipline. Et cette discipline doit se traduire par trois réformes claires et courageuses.
La première, c’est de mettre fin à l’État prédateur et de sanctuariser l’investissement. L’appareil administratif absorbe aujourd’hui près de 80 % de nos ressources, laissant l’économie productive exsangue. Cette logique doit être inversée. Chaque franc de dette doit aller exclusivement à des projets qui créent de la richesse et de l’emploi, jamais au fonctionnement courant. Utiliser la dette pour nourrir la machine de l’État doit être reconnu comme un crime économique contre la Nation.
La deuxième, c’est de bannir les caisses noires et de réduire drastiquement le train de vie de l’État. Les fonds politiques, fonds communs et privilèges opaques entretiennent une culture de gaspillage et de prédation. Ils doivent disparaître. L’État doit montrer l’exemple en se serrant la ceinture : moins de privilèges, moins de cérémonies, moins de dépenses somptueuses, plus d’efficacité. Et surtout, chaque dépense publique doit être publiée en ligne, en temps réel, afin que chaque citoyen puisse contrôler où va son argent.
La troisième, c’est d’instaurer la règle de compétence dans toutes les nominations et de mobiliser les meilleures compétences, d’où qu’elles viennent, de l’intérieur comme de la diaspora. Le mérite, la compétence et l’intégrité doivent être les seuls critères pour diriger les institutions publiques.
Le peuple sénégalais aspire depuis toujours à la souveraineté. Mais ceux qui ont été portés par ce mot l’ont trahi, en le transformant en slogan vide. Ils ne comprennent ni la souveraineté populaire, celle d’un peuple qui contrôle ses dirigeants, ni la souveraineté nationale, celle d’un État qui protège sa crédibilité financière. Ils ont répété des mots qu’ils ne comprennent pas, comme des perroquets, et en ont fait une arnaque politique.
Le FMI n’est pas notre bourreau. Il est un miroir. Et ce que ce miroir reflète aujourd’hui, c’est un État miné par deux plaies : la corruption d’hier et l’incompétence d’aujourd’hui. Ce n’est pas l’idée de souveraineté qui a échoué. Ce sont eux.
Le Sénégal doit désormais choisir une troisième voie : celle de la rigueur, de la transparence et du courage d’une souveraineté populaire qui restitue aux populations leur plein pouvoir de contrôle, et qui mobilise à travers une décentralisation effective et des communes fortes.
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À samedi prochain.
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Ce n’est pas l’actualité qui nous manque, c’est le recul. Et ce recul, nous le prendrons chaque samedi.
Ameth DIALLO
Coordinateur national de Gox Yu Bees