Les chiffres publiés par la Direction de la Prévision et des Etudes Economiques pour le mois d’août 2025 dressent untableau préoccupant de la conjoncture nationale. L’activité économique a reculé de 6,1 % par rapport au mois de juillet. Cette diminution s’explique par la contraction du secteur secondaire, en baisse de 13,4 %, avec des effondrements importants dans la construction (–25,9 %) et dans l’industrie (–24,5 %). Le secteur tertiaire n’est pas épargné ; les services immobiliers chutent de 16,1 %, tandis que l’information et la communication reculent de 10,4 %.
Derrière ces statistiques, ce sont des milliers de travailleurs, d’entreprises et de ménages qui ressentent déjà les effets.L’emploi salarié recule de 7 %, corroborant John Maynard Keynes qui souligne que le véritable coût d’une baisse de l’activité économique n’est pas la chute des profits, mais la perte des emplois et la misère qu’elle peut engendrer. En effet, la diminution de l’emploi salarié signifie moins de revenus pour les ménages, une baisse de la consommation et, in fine, un affaiblissement de la demande globale. Ce cercle vicieux, décrit depuis longtemps par les économistes keynésiens, peut s’auto-entretenir si des politiques contracycliques, pertinentes et efficaces ne sont pas rapidement mises en œuvre.
Parallèlement, la situation des prix accentue la pression sur les ménages. Si l’inflation globale reste modérée à 1 %, les prix des légumes ont connu, à fin août, une hausse importante de 19,6 % par rapport à juillet. Dans une économie où la part de l’alimentation occupe une place importante dans le budget des ménages, cette hausse entraîne des conséquences directes sur le pouvoir d’achat. Comme le rappelait Amartya Sen, prix Nobel d’économie, la pauvreté ne réside pas seulement dans le manque de revenus, mais dans l’impossibilité d’accéder à ce qui rend la vie digne. En ce sens, la dégradation du pouvoir d’achat ne se traduit pas uniquement par une perte de confort, mais par une atteinte à la sécurité alimentaire et au bien-être social.
L’indicateur du climat des affaires, en baisse de 2,6 points, révèle un affaiblissement de la confiance des investisseurs. Joseph Schumpeter expliquait que la croissance repose sur « le souffle créateur de l’entrepreneur ». Or, lorsque l’incertitude domine, l’esprit d’innovation et la prise de risque se rétractent. Cette perte de confiance risque donc de ralentir davantage l’investissement privé, pourtant essentiel à la relance économique et à la création d’emplois.
Cette situation appelle une réponse rapide et cohérente. Comme le souligne Paul Krugman, dans les périodes de ralentissement, le danger n’est pas de trop en faire, mais de ne rien faire. Il devient urgent de relancer l’économie sénégalaise qui peine à redécoller. Dans ce cadre, les entreprises doivent bénéficier de conditions plus favorables pour maintenir ou redynamiser leurs activités : crédits à taux préférentiels, reports ou allégements de certaines charges fiscales et paiement rapide des créances publiques, entre aux. De même, le pouvoir d’achat des ménages, en particulier les plus vulnérables, doit être protégé par des mesures telles que la maîtrise des prix, des subventions, une fiscalité différenciéeplus équitable.
Dans cette optique, il est également indispensable d’apaiser le climat politique et social. Aucune relance durable ne peut s’envisager dans un contexte de tension, de méfiance ou d’incertitude. Comme le soulignent les économistes du développement, la stabilité institutionnelle et la confiance sociale sont des catalyseurs essentiels de la croissance. Le Sénégal doit renouer avec un dialogue politique sincère et inclusif, restaurer la confiance entre les institutions, les acteurs économiques et les citoyens, afin de recréer les conditions d’un environnement propice à l’investissement.
Par ailleurs, la restauration de la confiance internationale est une priorité. Après plusieurs dégradations successives de la note souveraine par les agences de notation, avec des perspectives négatives, notre pays a été reclassé derrière la Côte d’Ivoire, son principal concurrent pour le leadership économique dans l’UEMOA. Cette situation pèse lourdement sur le coût du financement extérieur et sur la perception de la stabilité macroéconomique du Sénégal. Retrouver un programme avec le FMI permettrait d’envoyer un signal fort aux marchés et aux partenaires techniques et financiers. Ce type d’accord pourrait contribuer à rétablir la crédibilité financière du pays, à réassurer les investisseurs, et à réduire la prime de risque qui impacte actuellement les émissions de dettes souveraines sénégalaises.
Le Sénégal a déjà démontré, dans son histoire récente, une remarquable capacité d’adaptation face aux chocs. Il fut d’ailleurs l’un des pays africains ayant le mieux réagi à la crise du Covid-19, tant sur le plan sanitaire qu’économique. Mais cette fois, la lucidité et la rapidité d’action seront déterminantes. Agir maintenant, c’est éviter que la crise conjoncturelle ne se transforme en crise sociale. C’est préserver les emplois, redonner confiance aux entrepreneurs et aux bailleurs, et rétablir la crédibilité du Sénégal sur la scène économique régionale et internationale.
Comme le rappelle l’économiste sénégalais Felwine Sarr, « l’avenir ne se décrète pas, il se construit par la volonté et la vision ». C’est précisément cette vision collective, nourrie de stabilité, de dialogue et de rigueur économique, qu’il nous faut mobiliser aujourd’hui pour relancer l’activité économique.
Nous disons oui à l’appel de la patrie !!
Dr. Balla KHOUMA
Statisticien Economiste


