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Le franc CFA : un choix économique avant d’être politique ( Dr Balla Khouma, statisticien économiste)

Dans le monde, plusieurs zones monétaires structurent les échanges économiques internationaux. On peut citer la zone euro, où vingt pays partagent la même monnaie, la zone dollar dominée par les Etats-Unis, la zone livre sterling autour du Royaume-Uni, et, en Afrique, deux principales zones : la zone franc et la zone du rand. L’expérience mondiale montre qu’une monnaie commune n’est pas un frein au développement. Les pays membres de la zone euro, tels que l’Allemagne, la France, l’Italie ou l’Espagne, figurent parmi les vingt premières puissances économiques mondiales. De la même manière, en Afrique, des pays comme la Côte d’Ivoire et le Sénégal, membres de la zone franc, se distinguent par la solidité et la résilience de leurs économies. A l’inverse, la plupart des pays africains les plus pauvres et instables monétairement possèdent leur propre monnaie nationale, souvent sujette à des dévaluations et à une inflation élevée.

Cela montre que le franc CFA, malgré les critiques dont il fait l’objet, présente plusieurs avantages aux pays qui l’utilisent. Sa parité fixe avec l’euro garantit une stabilité monétaire qui maintient une inflation faible et prévisible, renforçant ainsi la crédibilité internationale des économies de la zone et pouvant attirer les investisseurs étrangers. La monnaie commune facilite également les échanges commerciaux et impose une discipline budgétaire salutaire, évitant les dérives monétaires qui ont fragilisé d’autres pays africains.

C’est d’ailleurs ce que rappelle récemment l’économiste sénégalais, le professeur Amath Ndiaye, dans un entretien accordé au journal béninois Le Patriote. Il soutient que cette monnaie n’est plus coloniale, car sa gouvernance est désormais pleinement africaine depuis les réformes de 1973 et 2019, qui ont écarté toute présence française dans les instances décisionnelles des banques centrales. Pour lui, le fait que les billets soient fabriqués en France ne remet pas en cause la souveraineté monétaire, puisque leur émission relève exclusivement des autorités africaines. Le professeur Ndiaye met également en avant la stabilité macroéconomique qu’assure le franc CFA, caractérisée par une inflation maîtrisée, un système bancaire solide et une meilleure intégration régionale. Enfin, il rappelle que la France n’est plus le principal partenaire commercial des pays de la zone, désormais davantage tournés vers la Chine et d’autres acteurs mondiaux. Il conclut que le franc CFA est une monnaie africaine qui mérite d’être réformée et modernisée, mais pas abandonnée.

Cette position s’oppose à celle d’autres économistes comme le docteur Ndongo Samba Sylla, qui, lors d’un panel à l’Ucad en mai 2025, a défendu l’idée que le franc CFA constitue un frein au développement des pays africains et qu’il faut en sortir pour construire un véritable projet de transformation économique. Ce débat révèle à quel point la question monétaire est complexe et dépasse les simples clivages idéologiques voire populistes.

Sortir ou réformer le franc CFA ne relève donc pas uniquement du courage politique. C’est une décision technique aux implications économiques considérables. Une sortie précipitée pourrait entraîner une forte instabilité monétaire, une fuite des capitaux, une dépréciation rapide de la nouvelle monnaie et rendre plus difficile le remboursement de la dette extérieure. Il est donc essentiel d’adopter une approche rationnelle, mesurée et pragmatique, loin de tout populisme, avant de prendre une telle décision.

Dans ce contexte, le Sénégal a deux principales options. La première serait de créer sa propre monnaie nationale, ce qui lui permettrait d’avoir une pleine souveraineté monétaire, mais lui expose aussi à des risques élevés d’inflation, de volatilité du taux de change, de perte de confiance des investisseurs et de difficultés d’accès aux marchés financiers internationaux. La seconde option consisterait à poursuivre le projet de la monnaie communautaire ECO au sein de la CEDEAO. Cette voie permettrait de renforcer l’intégration régionale et de gagner une plus grande autonomie, tout en maintenant une relative stabilité. Toutefois, ce processus est long et complexe, car les pays les plus puissants de la région, notamment le Nigéria, craindraient de supporter les déséquilibres macroéconomiques des pays les plus fragiles et de devenir la locomotive d’un train de développement déséquilibré où les différences de performances économiques pourraient réduire la solidité de la monnaie commune.

De plus, la situation économique actuelle du Sénégal, marquée par une dette publique élevée, l’absence d’accord avec le FMI, la dégradation de sa note souveraine et ses difficultés d’accès aux marchés internationaux, pourrait accentuer la méfiance de certains partenaires à l’idée de partager une même monnaie.

Ainsi, le franc CFA reste un sujet sensible, à la fois source de stabilité et symbole de critiques. Il a permis de préserver la rigueur monétaire et la stabilité des prix, mais il limite aussi la marge d’action nécessaire à une politique de développement autonome. Avant toute décision, les pays doivent évaluer avec lucidité les avantages, les risques et les coûts économiques d’une telle transition. Plutôt qu’une rupture brutale, une réforme progressive et concertée semble aujourd’hui la voie la plus raisonnable pour consolider la souveraineté monétaire tout en préservant la stabilité économique indispensable au développement.

Dr. Balla KHOUMA

Statisticien Economiste

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