En Libye, « l’opération globale » annoncée le 7 août 2024 par les forces terrestres de l’armée nationale libyenne (ANL) dirigées par Saddam Haftar, fils de l’homme fort de l’est libyen, se poursuit dans le sud et l’ouest libyen. Les combattants de l’ANL progressent dans cette vaste zone désertique qui jouxte le Tchad, le Niger, et l’Algérie. Le maréchal Haftar, qui a renforcé ses relations avec les juntes militaires au pouvoir dans plusieurs pays du Sahel, voudrait peser plus fort dans l’équation libyenne, mais aussi régionale. Avec le soutien militaire et moral d’alliés étrangers, comme la Russie, l’Égypte et les Émirats arabes unis, il cherche en réalité, selon plusieurs observateurs, à contrôler toutes les richesses de ces vastes zones qui abondent de mines d’or, de pétrole et de gaz. Ses réelles intentions pourraient s’avérer « moins nobles », selon les experts, alors qu’officiellement l’opération vise à « sécuriser les frontières sud du pays et à renforcer la stabilité de la Libye dans des zones stratégiques ».
Le communiqué de l’ANL, évoquait la nécessité de contrôler « des zones stratégiques ». C’est dans ce but, par exemple, que des affrontements ont eu lieu, ce lundi, entre l’unité 128 de l’ANL, et des trafiquants tchadiens armés, investissant illégalement des mines d’or dans les montagnes de Kalanga, non loin de la frontière avec le Tchad. L’unité 128 de l’ANL serait elle-même impliquée dans des opérations de trafics transfrontaliers, selon des rapports des experts de l’ONU sur la Libye. Ces affrontements violents ont fait cinq morts dans les rangs de l’ANL. Le bilan n’est pas connu du côté des trafiquants.
Les unités de l’ANL ont fortifié leur présence également sur le triangle frontalier de Salvador très emprunté par les trafiquants, les migrants et les djihadistes. Il est situé entre les trois frontières de Libye, d’Algérie et du Niger.
Khalifa Haftar affirme que ses troupes, sont là pour sécuriser les frontières, combattre les trafics et le terrorisme, mais ils sont accusés de plutôt vouloir gérer ces trafics dans leur intérêt. Des rapports de l’ONU ont déjà souligné l’existence d’un trafic d’essence actif depuis le sud libyen vers le Tchad, le Soudan et le Niger. Selon ces rapports, c’est l’unité Sobol Assalam de l’ANL, qui connait bien les chemins du désert qui s’en chargeait, bien avant ce déploiement dans le sud et le sud-ouest.
Lieux d’une importance stratégique
Parmi les lieux stratégiques que le maréchal Haftar cherche à contrôler, l’aéroport de Ghadamès qui acquiert une grande importance stratégique selon les spécialistes du dossier. Il est actuellement contrôlé par les forces de Tripoli. Situé à 650 km au sud-ouest de Tripoli, à l’intersection des frontières de la Libye avec l’Algérie et la Tunisie, il pourrait, en cas de prise, renforcer la position de l’ANL face au camp de l’ouest libyen, mais aussi dans la région du Sahel.
Dans cette même zone se situe le champ pétrolier et gazier Hamada. Ce gisement devrait être opérationnel dans les prochaines semaines pour livrer au moins 8 000 barils par jour à l’issue d’une première phase des travaux de développement du site qui viennent d’être terminés.
Le contrôle des champs pétroliers fait partie de la lutte pour le pouvoir en Libye, c’est la seule vraie source de richesse du pays, et depuis 2011, les différentes parties de la lutte ont à tour de rôle essayé de contrôler le secteur pétrolier. Début août, le camp Haftar a imposé la fermeture partielle du plus grand champ pétrolier du sud, Charara, faisant perdre à l’État des millions de dollars.
Ces mouvements de troupes près de la frontière avec l’Algérie, au sud-ouest de la Libye, mettent Alger dans une situation délicate et l’obligent à réévaluer son rapport au dossier libyen, en fonction de ces derniers développements. Dans des déclarations récentes le président Tebboune a mis en garde l’ANL sans la nommer directement, affirmant que l’Algérie « n’allait pas rester les bras croisés si ses intérêts et sa sécurité nationale sont menacées ».
Autres raisons d’inquiétude pour Alger : les alliés de l’homme fort de l’est libyen. Elle est au bord de la rupture diplomatique avec les Émirats arabes unis, grand allié du militaire. Quant à la Russie, Alger ne voudrait pas de mercenaires comme les Wagner ou l’Africa Corps à ses frontières, ce qui est déjà le cas au nord du Mali. Or, la présence de l’ANL à ses frontières, implique forcément la présence de ces mercenaires. Par ailleurs, Saddam Haftar, qui dirige les forces terrestres de l’ANL a récemment effectué au moins deux visites en Israël, alors qu’Alger refuse la normalisation avec l’État hébreu, sans qu’il n’y ait une paix juste et durable avec les palestiniens.
En mai 2020, l’Algérie a amendé la constitution pour permettre à l’armée algérienne, pour la première fois dans son histoire, d’intervenir à l’étranger.