Une affaire d’une ampleur inédite secoue l’administration financière sénégalaise. D’après les révélations exclusives du journal Libération, ce qui est désormais connu comme « l’affaire des chèques volés au Trésor » dépasse de loin un simple dossier de faux en écriture publique. Il s’agit d’un système structuré impliquant transitaires, commerçants, agents du Trésor et versements de commissions occultes, pour un préjudice évalué à 7,863 milliards de francs CFA.
Tout commence au niveau du bureau “Guichet et compte dépôt” du Trésor public, où trois carnets de chèques officiels, soit 150 chèques, sont subtilisés. L’origine du vol reste mystérieuse, mais certains de ces chèques ont été utilisés pour régler, de manière apparemment régulière, des droits de douane à la Perception de Dakar-Port.
Mais, comme l’indique Libération, les apparences s’effondrent à la suite de l’enquête de la Division des investigations criminelles (DIC), qui met à nu un véritable système de blanchiment déguisé : les chèques volés servaient à des transactions illégales avec, à la clé, des commissions occultes versées à des tiers encore non identifiés.
Transitaires sous pression
Dans la foulée, plusieurs transitaires sont entendus par les enquêteurs. Parmi eux, Mamadou Ly, patron de Madina Transit, admet avoir encaissé deux chèques pour un montant dépassant 1,36 milliard de francs CFA. Les chèques lui auraient été remis par Pape Galaye Thiaw, décrit comme un simple vendeur de téléphones, à qui il aurait versé une commission de 10 %, tout en affirmant ignorer l’origine des fonds.
Un scénario similaire est relaté par Lamine Ba, dirigeant de Touba Darou Salam Transit. Il reconnaît avoir encaissé deux autres chèques totalisant 1,4 milliard de francs CFA, également contre une commission de 10 %, versée au même mystérieux commerçant aujourd’hui injoignable.
Pour les enquêteurs, ce « vendeur de téléphones » n’est qu’un intermédiaire, incapable seul d’opérer une infiltration aussi précise dans le système du Trésor. Plusieurs transitaires n’ont d’ailleurs pas hésité à mettre en cause directement des agents du Trésor, notamment un contrôleur, dont le nom revient dans plusieurs témoignages.
Mansour Kane brise le silence
L’affaire prend un nouveau tournant avec l’audition de Mansour Kane, déjà incarcéré dans une autre affaire de faux chèque portant sur 400 millions de francs CFA. Extrait de prison pour être confronté à Abdoulaye Ba de Niany Transit, ce dernier l’accuse de lui avoir remis un chèque de 574,6 millions de francs CFA contre une commission de 12 %.
Mansour Kane nie toute relation avec Ba, mais finit par admettre avoir remis deux chèques à Ahmed Tidiane Nam et Ramatoulaye Fall, assumant sa part dans l’affaire. Dans un procès-verbal cité par Libération, il déclare :
« C’est une faille dans le système que j’ai exploitée. Mais comme je suis le premier à être arrêté, les gens veulent tout mettre sur mon dos. »
Et d’ajouter une déclaration explosive :
« Ce trafic de chèques est une pratique courante au Trésor. D’autres faisaient pareil. Le service des rapprochements comptables truque les soldes pour masquer les écarts. »
Le Trésor public dans la tourmente
Les révélations contenues dans le dossier explosif publié par Libération mettent en lumière des dysfonctionnements graves et structurels au sein du Trésor public. Le comptoir central, censé garantir la fiabilité des écritures comptables de l’État, est aujourd’hui éclaboussé par un scandale qui pourrait bien s’élargir à d’autres sphères de l’administration financière.
L’affaire, toujours en cours d’instruction, risque de faire tomber d’autres têtes au fil de l’enquête.